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Lifestyle & Spiritualité, Retraites de Yoga

Retraites de yoga à l’étranger : est-ce encore viable à l’heure du réchauffement climatique ?

Sortir de sa zone de confort, réduire ses dissonances cognitives, est-ce que cela ne s’applique que sur le tapis ? La question environnementale nous pousse désormais à penser et à agir global.

retraites de yoga
Alors que le marché mondial du tourisme du bien-être connaît une forte croissance[1], le yoga, grande célébrité parmi les pratiques du bien-être, reste un argument fort pour augmenter le nombre de voyageurs d’un séjour. Pourtant, cette manière de voyager vient butter contre la réalité environnementale.

Le tourisme est responsable de 8%[2] des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Un chiffre en augmentation constante. Aussi attrayant soit-il, ce tourisme, qui comprend les retraites, les stages, les visites, est en effet une menace sur les écosystèmes et pour l’avenir de notre planète.

A l’heure où la porte-parole de l’écologie, Greta Thunberg, s’époumone à faire prendre conscience de l’urgence environnementale, comment concilier le désir de pratique et de vacances, sans tomber dans le piège marketing du tourisme de masse ? Faut-il exclure de nos projets toute retraite à l’étranger ? Peut-on agir durablement dans ce domaine ? Que faire de cette éthique inhérente à la pratique du yoga, quand on se déplace à l’autre bout du monde pour 8, 10, 15 jours de retraite ?

Si l’équilibre écologique de notre planète paye à lourd tribu les conséquences d’un trafic aérien démesuré, notons aussi les autres dommages collatéraux de ces voyages : des plages inondées de détritus, des rivières et fleuves détournés de leurs lits pour les besoins des grands complexes hôteliers entrainant la désertification de zones habitées, une faune qui ne se reproduit plus faute d’habitat viable, des espèces endémiques menacées, des populations privées de leurs terres agricoles et de leurs repères culturels (arbres sacrés, temples, sources d’eau…), des forêts rasées pour la construction d’infrastructures.

Le yoga repose sur une assise philosophique élaborée et sans équivoque. Les principes de non-nuisance, de respect et de bienveillance envers l’ensemble du vivant, regroupés sous le terme sanskrit Ahimsa, font le clair énoncé d’une ligne de conduite incompatible avec la dégradation et la détérioration de notre environnement.

Quelques chiffres sur l’impact écologique de trajets en avion

Un aller-retour de Paris à Bali rejette environ 5 tonnes de CO2 dans l’atmosphère quand un aller-retour pour Delhi émet 2,88 tonnes. Alors que nous produisons 1 tonne de C02 par an pour nous déplacer en voiture (entre 5 000 et 7 000 km).

Or, aujourd’hui, pour limiter le réchauffement à 2 degrés, il faudrait que par personne, le niveau d’émissions de CO2 soit compris entre 1,6 et 2,8 tonnes de CO2/an. C’est l’objectif des politiques de transition énergétique à l’horizon 2050 mais qui ne sont pour le moment pas mises en œuvre. Actuellement, la trajectoire du réchauffement est donc de l’ordre de + 3 à 4 degrés. 

Si nous respections les 2 tonnes par an, d’importants dérèglements climatiques pourraient être évités. Pourtant, en quelques heures de vol, ce chiffre double ou quadruple. Ces chiffres révèlent combien la question climatique appelle à une profonde remise en question de notre mode de vie.

Enfin, il ressort des dernières études que nous sommes très loin de ces prospectives : notre empreinte carbone – qui cumule les émissions de CO2 sur le territoire + émissions liées à nos importations + les autres gaz à effet de serre – est de 11,2 tonnes de CO2/an/habitant.

Voici un tableau présentant les émissions de CO2 aller-retour pour une personne puis pour un groupe de 15 personnes en voyage dans ces pays :

Destinations depuis Paris
Inde (Dehli) 2,88 tonnes 43,2 tonnes
Bali (Denpasar) 5,44 tonnes 81,6 tonnes
Maroc (Agadir) 1,36 tonnes 20,4 tonnes
Espagne (Ibiza) 2,22 tonnes 33,3 tonnes
Bordeaux (France) 0,30 tonnes 4,5 tonnes

*selon le site calculateurco2.org

A la vue de ce tableau, nous comprenons que nous sommes bien loin de ces objectifs, d’autant plus en cumulant plusieurs voyages par an. Le yoga, en devenant un prétexte louable pour voyager, participe donc au changement climatique.

La question n’est plus “pourquoi voyager” mais “comment voyager” ?

La question, n’est plus « pourquoi je voyage », car chacun est persuadé d’avoir une bonne raison : un besoin puissant de se reconnecter avec lui-même, de se ressourcer, d’interrompre ces hivers interminables, de rencontrer une nouvelle culture… cela est subjectif et appartient à chacun. En revanche, la question qui nous concerne tous est de savoir « comment je voyage ».

La pratique du yoga dont découle les systèmes de retraites et de stages, est devenue une industrie, qui, à chaque saison, est de plus en plus polluante. Des solutions doivent donc être proposées en premier lieu par les acteurs de ce secteur : les professeurs qui amènent plusieurs dizaines de personnes à des milliers de kilomètres plusieurs fois par an, mais aussi les fédérations, les écoles de formation et les organisateurs de voyage.

Si une large part des pratiquants de yoga est salariée et ne peut donc passer plusieurs semaines en bateau quand ils ne bénéficient que de cinq semaines de congés-payés, l’idée à diffuser est celle que quiconque peut prendre le temps de voyager différemment s’il le souhaite vraiment et si le temps le lui permet.

Rappelons que l’on parle d’urgence climatique à raison et que certaines données sont pourtant irréfutables. Les deniers modèles d’évolution de notre climat mondial, élaborés par une équipe d’une centaine de chercheurs et d’ingénieurs, notamment du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et de Météo-France proposés au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), établissent deux scenarii. L’un, le plus optimiste, vise une augmentation de la température dans les terres à minima de 4,8 degrés, quand l’autre, plus alarmiste, annonce une augmentation des températures de 6,5 à 7 degrés d’ici 2100.

Si nous rapportons cela à notre thématique, nous comprenons l’impérative réflexion qui doit soutenir tout projet de voyage.

Il n’y a pas de commune mesure entre un séjour de 3 mois pour une retraite yogique et un plan yoga express de 10 jours, répétés plusieurs fois dans l’année, souvent pétri de bonnes intentions de la part des organisateurs.

Quelques solutions pour réduire son empreinte carbone et profiter de retraites de yoga

  

  • Voyager loin oui, mais pour séjourner longtemps dans le pays d’accueil. Privilégier ainsi une retraite de 2 à 3 mois plutôt que plusieurs retraites courtes multipliant les allers-retours.
  • La frontière du pays franchie, bannir les vols internes et privilégier les transports comme le train ou le bus.
  • Plutôt que de se déplacer à des milliers de kilomètres, en Inde, pour recevoir des enseignements d’un grand professeur ou maître, pourquoi ne pas inviter cet enseignant en France et organiser son séjour ?
  • Créer un label de retraites éco-responsables selon des critères exigeants en termes d’émissions de gaz à effets de serre.
  • Consommer local en privilégiant les retraites en France et dans les pays limitrophes qui présentent l’avantage d’être en phase avec notre biorythme.
  • Transposez votre empreinte carbone en donations qui sont redistribuées à des associations de préservation de l’environnement ou qui replantent des forêts. Plusieurs sites sont disponibles pour faire le calcul.
  • Réservez votre logement dans des lieux engagés dans la protection de l’environnement, partenaires de programmes locaux, qui soutiennent le commerce équitable et durable.
  • Penser autrement, être inventif. Pourquoi ne pas imaginer des road-trips en bus jusqu’en Espagne ou au Maroc ? Des programmes mariant des activités douces comme le vélo associé à une pratique de yoga quotidienne ?

La consommation locale et durable : un modèle applicable au yoga 

Et si finalement les modèles de durabilité que nous appliquons à l’alimentation, aux cosmétiques et aux vêtements étaient applicables aux retraites de yoga ? Nous sommes nombreux à encourager les producteurs locaux, les artisans du coin, à appuyer les initiatives respectueuses de notre environnement.

Pourquoi donc ne pas agir de la même manière lorsque l’on consomme le yoga ? Il s’agit bien de consommation car nous payons pour un service. Dans certains cas, nous amenons des ressources financières à des grands complexes hôteliers ou éco-lodges très à la mode, qui n’ont d’écologique que le nom, nourrissant des investisseurs du tourisme qui ne se préoccupent guère des habitants locaux. Dans d’autres, nous donnons à des enseignants de yoga et à des petites entreprises, les moyens de poursuivre leurs activités.

Pierre, instructeur de yoga depuis 5 ans à Lyon et sa région, nous explique : « Pour moi, c’était hors de question de tomber dans le piège de ces machines à sous. Non, je suis désolé, ce n’est pas ça le yoga. Le yoga c’est agir d’abord sur soi, ensuite avec ses proches, puis dans ton quartier ou ton village et ainsi de suite. Si l’on doit appliquer nos modèles d’économie de marché à cette sagesse, alors autant renoncer, parce-que nous allons la dénaturer totalement. Je sais que c’est très à la mode de coupler des pratiques, et certaines sont très cohérentes, mais honnêtement, quand on fait une retraite, on n’est pas là pour se disperser dans tous les sens… Ou alors on n’appelle pas cela une retraite de yoga. On dit que c’est un séjour touristique avec un cours de yoga inclus dans la journée. Ca ne devrait pas être un argument de vente. J’ai personnellement pris le parti de n’emmener mes élèves en retraite que dans des lieux français ou limitrophes, où l’on respecte l’environnement, la nature, où l’on cultive les légumes et où on vit au rythme des saisons. »

En poursuivant notre enquête, nous prenons conscience que, passé les offres galvaudées et les séjours tout-en-un, des propositions moins tape-à-l’œil sont disponibles à deux pas. En covoiturage ou en train, nous pouvons tous accéder à une retraite de yoga à moins de 4 heures de chez nous. Aurons-nous la chaleur en hiver et des jus de noix de coco fraiche en toute saison ? Non, et alors ! Le yoga est une invitation à l’union avec notre environnement, à une symbiose du corps et de l’esprit avec ce qui nous entoure. Dans son assertion originelle, il se renforce à la lumière d’un choix éclairé et conscient.

Alors, à moins de donner un véritable sens à votre voyage en Inde, à la rencontre d’un maitre, ou pour marcher dans les pas d’enseignants qui ont marqué votre pratique, pensez à ce que votre désir d’excursion implique, tant en termes de pollution environnementale, que de respect des biotopes locaux et des habitants, gardiens des lieux.

Il n’y a pas de petits gestes pour notre planète et chacun de nos choix individuels, multipliés par le nombre de pratiquants de yoga engagés dans une démarche durable, fera la différence pour le monde de demain. Alors, pose-t-on enfin le sujet du coût environnemental de notre bien-être ou business as usual ?

Namaste

[1] Selon le dernier rapport du Global Wellness Institute

[2] D de 6,5% par an depuis 2015 et pesait en 2017 pas moins de 639 milliards de dollars, d’après une étude de « Nature Climate Change ».

Par Sahra Leclerc et Céline Chadelat

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