Le numéro de Mars-Avril est actuellement disponible !
Le numéro de janvier-février est actuellement disponible !

Actualités

Point de vue: Yoga, peut-on vraiment parler d’appropriation culturelle ?

A la lumière des derniers événements, beaucoup se sont posé la question de l’appropriation culturelle du yoga par l’Occident. Comment pratiquons-nous ? Comment enseigner ? Avons-nous le droit d’adapter ? Autant de questions qui se posent et qui prennent une saveur particulière en ce temps de grands changements.

Par Nadia Boukir 

Qu’est-ce que l’appropriation culturelle ?

Avant d’entrer dans le cœur du sujet, il semble pertinent de poser correctement les notions et l’Histoire. De quoi parle-t-on sous le terme d’appropriation culturelle ? Cette notion est plus ancienne que les débats qui nous occupent ces temps-ci et elle ne renvoie pas du tout à la notion extrêmement négative véhiculée aujourd’hui. L’appropriation culturelle désigne, à l’origine, l’utilisation d’éléments d’une culture par les membres d’une autre culture. Il n’y avait là aucune notion de racisme, de spoliation, d’asservissement, simplement la notification d’un constat. Au contact d’une autre culture, les enfants d’un peuple absorbent des rites, des habitudes, des coutumes, des attributs comme étant les leurs. Avec le temps et lié aux luttes tristement d’actualité, la notion a migré du constat neutre au constat chargé de défiance, de colère et de lutte pour les droits fondamentaux. C’est dans les milieux universitaires américains que cette nouvelle charge a émergé dans les années 2000.

« Libres, débarrassés des mémoires qui ne nous appartiennent pas »

Bien sûr, la lutte qui occupe la population noire américaine, nous occupe tous. La liberté est la liberté. Il ne devrait y avoir là aucune considération de couleurs, d’orientation sexuelle, de religion ou de culture, si vous aimez, vous aimez avec un seul cœur et la liberté est la sœur jumelle de l’amour. Il n’y a qu’un amour et qu’une liberté, les mêmes pour tous. De plus en plus, il semble évident que les racistes soient de moins en moins nombreux, que le métissage devienne la norme et que nous vivions de mieux en mieux grâce à ce grand mélange. Cette violence sans nom est à la hauteur de la force extraordinaire qui se lève partout dans le monde ces dernières années. Nous assistons à la fin d’un monde, une société dans laquelle votre couleur, votre nom ou la personne que vous teniez par la main étaient plus importants que vos compétences pour trouver un travail. Ce que nous vivons, c’est le sursaut du condamné ! Ce monde raciste et ségrégationniste, séparatiste, se meurt et ne se laisse pas faire. Mais force est de constater que la puissance qui s’exerce en face est bien plus puissante et si nous étions plus attentifs, plus présents, nous saurions collectivement que nous n’avons plus besoin de nous battre, mais à être. Etre tel que nous sommes. Libres, débarrassés des mémoires et des schémas qui ne nous appartiennent pas. C’est justement la proposition que nous fait le yoga. Le but ultime est la libération, se libérer du cercle incessant du recommencement, se libérer et mettre au jour notre être véritable. En ce sens, la notion d’appropriation culturelle, en tant qu’outil d’asservissement et de spoliation, se marie très mal avec le yoga.

Une transmission de maître à disciple

Dans l’enseignement du yoga, on transmet une philosophie qui nous mène non pas à ressembler à notre maître mais plutôt à faire émerger notre essence. Le yoga est né en Inde et a pris les atours de son exotisme mais ce qu’il est intrinsèquement est universel. C’est le cadeau que l’Inde a fait au monde, une voie d’accès vers la liberté. Aujourd’hui, nous nous sommes habitués aux formations de yoga où l’on s’initie à son enseignement en quelques semaines, les fameux TTC et on en a oublié la façon dont il est transmis traditionnellement. C’est une transmission de maître à élève qui dure des années, on reçoit encore un enseignement quand on commence à enseigner. Dans ce rapport, il existe une notion de gratitude, comme à l’égard d’un parent qui nous a donné la vie et bien au-delà encore. Il y a dans le rapport au maître une notion de dévotion et chez le maître une notion de responsabilité vis-à-vis de son élève. Le maître et l’élève ne se choisissent pas en fonction d’une quelconque appartenance, ils se rencontrent et se reconnaissent. On ne demande pas à son maître de nous initier, on se réveille un matin conscient que l’initiation a déjà commencé. Ces notions excluent tout rapport d’appartenance culturelle puisque l’essence même est de se libérer de tous schémas qui nous prédéfinissent et nous entravent et de laisser libre court à la rencontre des âmes.

Le parcours de Sri Mahesh

Shri Mahesh, l’un des introducteurs du yoga en France dans les années cinquante disait « L’amour est ma loi, la vérité, mon combat » : un beau mantra qui permet de contribuer à notre façon, nous autres pratiquants et enseignants, aux changements que notre monde vit actuellement. Essayons de ne connaitre que cette loi et de nous éloigner des débats stériles, revenons aux fondamentaux et soutenons la liberté sous toutes ses formes et pour toutes les formes !

Ce maître qui a porté la philosophie du Hatha yoga en France et qui est, d’ailleurs, communément reconnu comme le premier maître de Hatha yoga en France a eu une existence qui nous éclaire assez bien quant à la question de l’appropriation culturelle dans le yoga. Il est de naissance indienne et commence le yoga à 5 ans. Orphelin très jeune, il brille à travers les disciplines sportives notamment dans le domaine de la course à pied, il est envoyé en France pour y intégrer une école où il pourrait parfaire ses talents sportifs. Il est accueilli par Françoise Dolto et sa famille qui le considère comme l’un de ses membres à part entière. Il est évident que le jeune homme s’imprègne de la culture occidentale et spécifiquement de la culture française mais pour autant, il ne renonce pas à sa propre culture qu’il commence déjà à diffuser grâce à Boris Dolto qui le fait intervenir auprès des élèves de l’école dont il est directeur. Il a, ensuite, consacré sa vie à la diffusion du yoga en France à travers la formation d’enseignants français, la création de fédérations… De son propre aveu, il a toujours souhaité adapter la philosophie du yoga pour la rendre intelligible aux occidentaux. L’exemple de Shri Mahesh est loin d’être unique même si son parcours l’est. A une époque où les liens entre l’Inde et les milieux intellectuels européens étaient très intimes, nombre de maître devenus célèbres ou pas ont porté la philosophie du yoga aux personnes désirant être initiées et aux curieux. Outre Shri Mahesh, nous pouvons citer Swami Sivananda, Swami Satyananda, Swami Devananda, BKS Iyengar qui ont volontairement adapté leurs pratiques pour rendre le yoga accessible et compréhensible à la culture et la forme de pensée occidentale. Il est important d’insister sur ce point parce que le yoga lui-même existe, continue d’exister et existera encore longtemps après nous parce qu’il a cette formidable souplesse inscrite dans ses gênes. Dès le départ de ce périple, parce qu’il s’agit bien d’un voyage, ils ont initié des occidentaux, leur ont ouvert leur portes et leur ont offert la filiation du yoga.

Alors en fidèles pratiquants de yoga comment nous positionner face au porn yoga, au guru du dimanche, aux athlètes reconvertis qui poussent toujours plus loin leur corps dans la douleur… Peut-être, simplement en n’oubliant pas que les atours importent peu. Même si, parfois, on a envie d’attraper un porte-voix et de hurler que se gratter l’oreille en bikini sur la plage ou de rappeler que le beer yoga, ce n’est pas du yoga, gardons en tête que le yoga n’a jamais été autant diffusé, qu’il s’installe dans notre société et que cela passe par des collisions et mariages improbables. J’ai lu sur un blog tout à fait intéressant que  les maîtres qui nous ont porté le yoga ne devaient pas s’imaginer ce que nous allions en faire (référence au porn yoga notamment). Et bien, j’ai tendance à penser qu’au contraire, ils savaient parfaitement par quoi cela passerait. Pour intégrer une culture, pour l’accepter et la respecter, il faut s’approprier ses codes et ses attributs et les faire fusionner avec les siens. A la manière de deux peuples qui se rencontrent et inventent une nouvelle langue en fusionnant les leurs. Le yoga se prête aisément à toutes les adaptations et s’intègre à toutes les cultures justement parce que son essence exclut le dogmatisme. Evidemment, on a plus facilement accès à l’emballage qu’on contenu. Il faut du temps pour déballer, comprendre comment ouvrir la boîte, y entrer puis réaliser ce qu’il y a dedans et trouver l’équilibre entre ce que nous étions et ce que nous devenons. Ne pas abandonner son histoire, son bagage tout en trouvant sa place ici et maintenant. On n’accède pas à la voie du milieu sans passer par les excès.

Laissons à l’Occident le temps d’intégrer, de tester, de goûter. Gageons que dans quelques années, les Ayatollah et les pin-up du yoga auront trouvé la voie du milieu ou se seront tournés vers un autre domaine. En attendant, le yoga ressemble à la société à laquelle il se fiance. Multiple, chamarré et plein de contradictions et c’est dans ces excès que nombre d’entre nous trouverons la voie du milieu alors rendons grâce et ne nous jugeons pas trop durement.

Nadia Boukir est professeure de yoga et praticienne ayurvédique : www.thenextmonkey.com

Sur le même sujet

Rendez-vous dans notre boutique,Et abonnez vous !

Actualités
En kiosque
Newsletter
Votre abonnement n'a pas pu être enregistré. Veuillez réessayer.
Votre abonnement a réussi.
Suivez-nous