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Pratique du Yoga

Rajesh Gautam : “le yoga n’est pas une question de bien-être, mais une question d’être, et cela, l’Occident ne l’a pas encore intégré”

Rajesh Gautam naît dans une famille de prêtres (brahmane) à Jaipur au Rajasthan et reçoit dès son plus jeune âge les enseignements de yoga de nombreux mystiques. Porteur de transmissions souvent gardées secrètes, il reçut la bénédiction d’enseigner en France. Il partage avec nous son expérience du yoga traditionnel indien à l’épreuve de la modernité.

Propos recueillis par Sahra Leclerc

Esprit Yoga : Vous êtes né dans une famille de prêtres à Jaipur en Inde et le yoga ne fait pas nécessairement parti de la tradition brahmanique, alors comment l’avez-vous découvert ? Qui vous a mené vers le yoga dans votre enfance ? 

Rajesh Gautam : Lorsque j’étais enfant, je vivais quasiment dans le temple familial. Mes parents nous ont transmis, à mes frères et moi, une discipline yogique quotidienne, au lever du jour et au coucher du soleil, durant les heures où le soleil est entre deux mondes. Après le yoga, nous célébrions Shiva et nous faisions des puja et des mantra. C’est déjà en soi-même une forme de yoga puisque dans ma tradition familiale, nous cherchons une union avec Shiva par cette pratique. Je crois que le yoga a toujours fait partie de la routine quotidienne des prêtres de ma famille. Et puis, ce sont les maitres qui venaient dans notre temple qui ont attisé chez moi le désir d’approfondir la pratique. Il y a eu, entre autres, un maitre important pour moi, Babaji Balaknath, qui m’a enseigné le yoga lors de ses visites dans notre temple. Puis, les sannyasin, venaient en pèlerinage et me transmettaient des enseignements, à l’occasion de célébrations menées par les prêtres de ma famille. Ce sont tous ces mystiques qui ont éveillé en moi le désir profond d’engagement dans la pratique du yoga. Ce qui m’a été transmis est à mes yeux, d’une valeur inestimable. Pour formaliser tout cet apprentissage qui a duré depuis mon enfant jusqu’à l’âge adulte, j’ai ensuite effectué une retraite dans un Ashram Sivananda. Mon diplôme officiel en poche, j’ai ensuite pu commencer à enseigner légitimement.

EY : En tant que prêtre, vous êtes gardien de la connaissance védique, avec des préceptes à suivre, des devoirs envers votre communauté, et des règles de vie bien énoncées. La pratique du yoga est-elle compatible avec votre vie de brahmane ? 

RG : Oui tout à fait. Comme dans toute religion, il y a des groupes qui ont une approche religieuse orthodoxe, et pour qui toutes les pratiques du yoga ne sont pas forcément recommandées. Et il y a des prêtres qui ont intégré depuis plusieurs générations d’autres modes de pensées. Nous en faisons partie. Pour moi, il n’y a pas d’incompatibilité. D’ailleurs, le travail d’un prêtre, si on peut l’appeler ainsi, est proche de la pensée du yoga. Lors des puja, on travaille sur le champ énergétique avec la pratique des mantra. Il y en a plus de 10 000. Le souffle, les mudra, la discipline de la pensée, font aussi partie du travail d’un prêtre, ce qui est similaire à la pensée yogique. Enfin, nous rendons grâce à Shiva, ou Adiguru, comme nous l’appelons également. Et c’est lui qui a amené le yoga dans notre monde. Tout se rejoint à mon sens.

EY : Comment pratiquiez-vous le yoga quand vous étiez prêtre à Jaipur ?  

RG : Le matin, durant le lever du soleil, ma famille et moi pratiquions surya namaskar, des kriya, des pratiques de nettoyage du corps, et nous finissions par une marche silencieuse en conscience pour redescendre dans le corps physique et y rester toute la journée. Le soir, à l’heure du crépuscule, nous allumions des bougies au temple, nous faisions aarthi (offrande de lumières), puja et ensuite une pratique de pranayama, de mantra et la méditation.

EY : Qu’est-ce que c’est le yoga pour vous ? Est-ce que le yoga que l’on vous a enseigné ressemble à ce que nous appelons “yoga” en Occident ? 

RG : Pour moi, le yoga c’est l’ensemble des branches du yoga pratiquées quotidiennement. Aujourd’hui, le yoga est surtout un loisir en Occident. On va à la salle de yoga et on pratique pendant une heure des asanas, quelques pranayamas et ensuite on reprend le cours de sa vie. Parfois on se prend même en photo. Cela ressemble plus à une pratique de santé, de bien-être. Or, le yoga n’est pas une question de bien-être, mais une investigation intérieure parfois inconfortable, une rencontre avec le vide. La pratique telle que je l’observe souvent en France reste en surface. Cela revient à essayer d’arroser les branches d’un arbre. Mais ce sont les racines qu’il faut arroser, il faut se diriger vers l’essence et il faut avoir le courage de le faire.

Donc, le yoga c’est avant tout accepter de devenir totalement vide. Vide de toute connaissance intellectuelle, vide de toute conclusion que l’on aurait pu tirer sur les expériences de notre vie, vide de jugement. C’est un abandon du mental et de tout ce qui s’y rattache. Il faut accepter de se vider de tout ce qui nous définit, et prendre une grande distance avec la personnalité incarnée, le moi. Dans la pratique du yoga, on peut même aller jusqu’à expérimenter intérieurement le dépassement de la nécessité de respirer. Même cela on peut finir par l’abandonner. C’est ainsi que l’on peut se diriger vers la félicité. Mais ce sont des expériences qui doivent se vivre, elles ne s’expliquent pas avec des mots.

Cependant, il faut comprendre qu’on ne peut plonger dans ces profondeurs en ne pratiquant que les postures. C’est d’ailleurs regrettable car lorsque l’on parvient, par la pratique, à se tenir en témoin de nos actions quotidiennes, alors on peut observer l’actualisation des empreintes karmiques avec conscience. On n’est plus « victime » d’un mauvais karma, comme je l’entends souvent, mais on peut amener une grande conscience à ce karma et ainsi le dépasser. On invite le sacré dans le quotidien. Pour moi, c’est cela le yoga. Il est impossible de le réduire à la gymnastique yogique que l’on pratique en France dans les salles. Le yoga ne nous quitte jamais vraiment, c’est une discipline de la conscience qui s’applique à chaque instant de la vie.

EY : A votre avis, pourquoi est-ce que le yoga en France est-il si différent du yoga traditionnel que vous pratiquez ? Pourquoi le yoga a-t-il muté dans ce sens ?

RG : Le premier bienfait du yoga est physique et c’est un peu un piège. Car, quand on expérimente ce confort physique, on s’y attache et on ne veut pas entrer dans les zones d’inconfort, inhérentes à la nature humaine. On en reste ainsi à ce premier bienfait avec l’illusion que l’on a progressé. On se sent mieux, on se sent plus vivant, plus détendu, mais c’est une relaxation de surface, en aucun cas cela signifie que l’on est plus spirituel, ou que l’on a élagué le superflu. En France, dans la plupart des cas, on recherche le bien-être sans aller vers la recherche de l’être. Or, Adiguru a offert le yoga aux humains pour leur permettre de rencontrer mahashunya, le point zéro, le début de tout, la source même de diffusion du prana depuis la création des univers. Il faut comprendre que ça va bien au-delà d’une question de bien-être.

Le second piège de la pratique en France telle que je l’observe est une appropriation du yoga par l’égo. D’ailleurs, on voit beaucoup ce genre de méprise en parcourant les réseaux sociaux. Il y a une identité du yoga, avec un code vestimentaire, une attitude, des lieux auxquels on doit se rendre, des choses à manger etc. C’est un effet de mode. Quand on se prend en photo dans des postures difficiles pour montrer que l’on sait les faire, nous sommes très loin de l’esprit du yoga indien. On reste dans le fantasme, dans l’illusion.  En tant qu’indien, je peine à comprendre cette démarche.

EY : Votre pratique du yoga est une pratique très interne, jusqu’où peut-elle vous amener ?

RG : Quand l’on entreprend un voyage, une fois que l’on arrive à destination, on doit quitter le véhicule. Ça ne sert à rien de rester assis dans votre voiture si vous êtes arrivés sur votre lieu de vacances. En yoga, c’est le même principe. On peut aller jusqu’à anandamaya kosha, le corps de félicité, mais une fois que l’on y est, on laisse le corps physique. Il ne nous est plus utile.  On atteint samadhi. Donc, la pratique du yoga peut nous mener jusqu’à la non-dualité. Or, peu l’atteignent.

Si l’on doit évoquer le voyage intérieur pour la grande majorité des êtres humains aujourd’hui, il s’agit surtout d’explorer le corps mental et le corps pranique. C’est déjà un travail préliminaire très important, qui peut prendre de très nombreuses incarnations avant d’être prêt à entrer dans le corps de félicité. Il y a des élèves qui me demandent de faire monter leur kundalini, de les emmener directement vers samadhi, mais c’est très dangereux. Les Occidentaux fantasment beaucoup autour de l’éveil. Ce processus doit se faire tout seul, quand l’ensemble des corps est prêt. Cela implique des forces qui nous dépassent largement. La Nature toute entière est mobilisée pour cela et forcer la Nature est non seulement dangereux, mais aussi très prétentieux. Il faut savoir rester humble devant Sa force et Sa grandeur. Les grandes lois de la Nature maintiennent l’harmonie dans notre corps, comme l’explique l’ayurveda. Forcer les choses revient à créer une disharmonie. La base est donc de respecter le rythme de ces lois naturelles. Et ensuite, avec la pratique nous nous dirigeons progressivement vers samadhi.

EY : Est-ce que l’approche de l’éveil et de la libération est la même dans la tradition védique des brahmanes et dans le yoga ?

RG : Les brahmanes cherchent moksha, la sortie du cycle des renaissances, tandis que dans le yoga, on parle plutôt de samadhi, l’éveil à la réalité du soi. Ce sont deux approches différentes.

EY : Vous avez créé une association, Pranavital, pour enseigner en France. Quelle est la plus grande difficulté que vous rencontrez en enseignant à des français ? 

RG : Quand j’ai commencé à enseigner en France il y a 20 ans, on me demandait juste d’enseigner une pratique de bien-être. Je ne devais surtout pas parler de spiritualité. A l’époque, le yoga paraissait très ésotérique. Le plus gros challenge que j’ai eu, a été d’introduire le concept d’âme dans mes cours et de parler de la mort. Evoquer le divin, les cycles de mort et renaissance, tout cela reste encore parfois complexe avec les français. C’est normal d’ailleurs puisque c’est presque tabou d’en parler. Mais encore une fois ce sont des concepts. J’essaie d’amener mes élèves au-delà des concepts de mort ou de vie. Je les amène vers la question fondamentale : « qui suis-je ? ». On peut revenir des milliers de fois sur terre et changer de décor à chaque fois, si l’on n’investigue pas sérieusement cette question primordiale, alors on passe à côté de l’essentiel. La pratique du yoga doit permettre d’accueillir la réponse à cette question. Sans cela, on nourrit l’illusion d’être quelqu’un de spirituel sans vraiment toucher la véritable quête de l’existence.

EY : Si vous aviez un seul message à transmettre aux pratiquants de yoga français, quel serait-il ? 

RG : Si l’on pratique le yoga mais que l’on ne touche pas le vide intérieur, la conscience… alors ce n’est pas du yoga, c’est une pratique de bien-être. Le yoga nous conduit à vivre une absence de différenciation entre l’intérieur et l’extérieur. L’authenticité du yoga traditionnel indien peut toucher les pratiquants français qui en ont l’aspiration profonde. Mais il faut oser prendre du recul avec sa personnalité conditionnée et s’émanciper de la mode du yoga actuelle qui nourrit beaucoup l’égo. Recherchez moins le bien-être ! Cherchez l’être ! Même si cela implique des moments d’inconfort. Alors seulement vous serez sur le bon chemin.

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