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Audrey Fella: “En cheminant vers elles-mêmes, les femmes peuvent guérir et grandir spirituellement”

Historienne, journaliste et essayiste, Audrey Fella est l’auteure du livre « Femmes chamanes » publié chez Mama Editions. Rencontre !

Propos recueillis par Armanda Dos Santos

Esprit Yoga : Audrey, comment avez-vous découvert le chamanisme ? Comment et pourquoi avoir choisi d’y consacrer vos travaux de recherche en tant qu’historienne ?

Audrey Fella : J’ai découvert le chamanisme il y a plusieurs années. Dès que j’ai commencé à travailler sur les femmes et le sacré, et la spiritualité au féminin, je me suis intéressée à la place et aux rôles des femmes chez les peuples premiers. En outre, j’ai toujours été attirée par les enseignements, les cérémonies et les rituels traditionnels. À ce titre, j’ai lu la plupart des livres de Castaneda et de Corine Sombrun, par exemple. Après avoir écrit sur les femmes mystiques, j’ai eu envie de travailler sur la spiritualité des femmes chamanes, qui privilégie le corps sur le mental, l’intuition sur la raison, et qui nous invite à sentir avant de penser. Ayant approché intellectuellement ce qu’était le « féminin sacré », j’ai souhaité en faire l’expérience.

« Une femme chamane n’est pas un concept ! »

 

EY : Pouvez-vous expliquer le concept de « Femme chamane »? Qui est-elle? Quelles sont ses caractéristiques ? Toute femme est-elle une « chamane » ?

AF : Une femme chamane n’est pas un concept ! C’est une femme qui est initiée aux rituels et aux cérémonies de guérison et d’initiation de sa communauté. Elle chemine généralement toute sa vie, elle se transforme et elle purge son ego, pour se mettre au service des autres. Dans la plupart des traditions, elle apprend à voyager dans le monde invisible, à se relier et à s’allier aux esprits de la nature, à des ancêtres et à des maîtres défunts, pour qu’ils l’aident dans sa démarche. Ainsi peut-elle guérir une maladie, régler un conflit, enlever le mauvais sort, protéger des mauvaises langues, aider les morts à voyager dans l’autre monde, etc. Elle connaît donc les gestes qui soignent le corps et l’âme. Forte de cet enseignement, elle peut aussi initier celles et ceux qui sont appelés à devenir chamanes.

« Toutes les femmes ont en elles une « femme sauvage », indomptée par le patriarcat, qui est puissante et créative, libre et aimante »

Toutes les femmes ne sont pas des chamanes, car on ne choisit pas de l’être. Ce sont les esprits de la tradition à laquelle elles sont reliées, le ou la chamane de leur communauté, qui les désignent. Depuis les années 1970, s’est développé un néo-chamanisme qui emprunte quelques pratiques au chamanisme traditionnel. À l’intérieur de celui-ci, on trouve différentes voies et pratiques éclairées, mais aussi des pratiques dévoyées, largement commercialisées, qui vous promettent de devenir chamane en un week-end. Ce n’est pas possible. De manière générale, il faut bien dissocier les personnes qui sont initiées au chamanisme dans une tradition pour devenir chamane, et celles qui ont recours à ces pratiques à titre personnel pour avancer sur leur chemin, régler un problème, dépasser une épreuve, etc. C’est ce que j’ai fait personnellement : en enquêtant dans ce milieu, j’ai rencontré des femmes chamanes qui m’ont fait travailler sur moi ; je ne suis pas devenue chamane pour autant. Ce qui est sûr, c’est que toutes les femmes ont en elles une « femme sauvage » (l’expression est de Clarissa Pinkola Estés), indomptée par le patriarcat, qui est puissante et créative, libre et aimante. Cette part, qui détient toute la sagesse de la femme, ses dons et sa dimension spirituelle, sommeille encore chez beaucoup d’entre elles et attend d’être réveillée.

EY: Comment et pourquoi la Femme chamane peut soutenir les changements dans la société, dans la nature, mais aussi dans nos propres processus de guérison interne et émotionnelle ?

AF : Gandhi a dit : « Soyez le changement que vous souhaitez voir dans le monde ». Pour changer quelque chose à l’extérieur de soi, il faut d’abord changer intérieurement. Dans la plupart des pratiques que j’ai faites – un voyage chamanique, un stage de chant et de peinture de sable inspiré des Navajos, une diète de rose basée sur les principes du chamanisme amazonien, une hutte de sudation d’après le rituel Lakota, un rituel mongol, etc. –, j’ai appris à me relier à moi-même et à cette part sacrée en moi, qui m’a permise ensuite de me relier plus justement et plus harmonieusement aux autres, à la nature et au monde. Le chamanisme est une voie qui peut nous aider à découvrir et à travailler sur notre féminin, qui est un facteur de changement. Le féminin est avant tout une expérience qui nous invite à plonger en soi, en silence, à écouter et à accueillir ce qui est. Généralement, nos pensées nous envahissent, elles défilent sans cesse. Notre mental ressasse le passé qui n’est plus, ou le futur qui n’existe pas encore. Néanmoins, à force de pratique, entre deux pensées, on peut commencer à percevoir une présence, le soi, le moi supérieur, etc., cette part divine en soi. On commence alors à « être ». Le féminin est une énergie de transformation et de guérison, qui peut nous aider à mieux voir nos blessures, à accepter et à pardonner. Car tant que l’on n’a pas découvert cet espace en soi, et que l’on ne lui laisse pas le gouvernail de notre vie, on agit en réaction par rapport aux autres et au monde. On ne peut pas créer quelque chose de nouveau. Cela n’a rien à voir avec la volonté, c’est plutôt une histoire de lâcher prise. Le féminin est aussi une énergie de création. Allié au masculin qui est du côté du « faire », il peut nous permettre de créer du nouveau quand nos blessures sont pansées et dépassées. De faire naître en soi les nouvelles graines de paix et de compassion, qui vont germer grâce à nos soins dans le monde à venir. En cheminant ainsi vers elles-mêmes et en retrouvant ce lien avec ce qui est plus grand qu’elles, les femmes peuvent commencer à guérir et à grandir spirituellement. Grâce à cette transformation, elles peuvent prendre soin de leur famille, de leur communauté et de la nature. Et à créer un monde plus harmonieux autour d’elles, d’abord à leur propre échelle, puis à plus grande échelle en s’alliant avec les autres.

EY : Avec quels outils, rituels, agit, soigne, la Femme chamane ?

AF  : Les pratiques chamaniques sont nombreuses ; elles dépendent des traditions auxquelles elles sont rattachées. Il existe des pratiques liées aux plantes comme l’ayahuasca, le tabac ou le cacao, d’autres liées aux sons du tambour, par exemple. Intégrant des rituels divers, elles vont de la hutte de sudation chez les Indiens Lakota, où l’on se purifie corps, âme et esprit, à la diète amazonienne, où l’on est isolé dans la nature, où l’on suit un régime strict sans sucre, sans sel, ni viande, ni sexualité, ni portable, en silence, et où l’on attend d’être enseignés par la plante que l’on diète. Il existe aussi des cérémonies de passage à différents âges de la vie d’une femme, qui célèbrent les premières lunes (ou règles) ou la ménopause, chez les Amérindiennes. Les rituels sont puissants, car ils utilisent tous les sens : l’ouïe, l’odorat, le toucher, etc. Ils réalignent tous les corps physique, émotionnel, mental et énergétique d’une personne. En plus de ces différentes pratiques, chaque femme a sa personnalité et ses dons propres, comme le chant ou la voyance par exemple, qui lui permettent de l’accompagner à sa façon avec l’aide de ses esprits guides. Cela varie donc de l’une à l’autre. Le plus important, quand on chemine sur cette voie, c’est de se sentir appelé, puis de s’assurer de l’humilité et de la bienveillance de la chamane, de la femme-médecine ou de la curandera concernées. Car ce n’est pas gratuit.

« Si elles ont acquis des droits essentiels, elles ont aussi renié leur part spirituelle. »

EY : En quoi sommes-nous blessées dans notre féminin et comment les femmes peuvent-elles se réapproprier cette part d’elles-mêmes ?

AF  : Depuis plus de 2000 ans, les femmes ont subi la culture patriarcale. Au fur et à mesure du temps, leur place s’est amenuisée dans les sphères politiques et sociales. Leur rôle spirituel leur a été dénié, jusqu’à presque disparaître dans les religions monothéistes. Elles ont appris à prier Dieu le père, et à se détourner de la Terre mère. Parallèlement à cela, la société moderne leur a demandé d’être sans cesse performantes et compétitives, ce qui a fini de les éloigner de leur nature cyclique, qui demande de se poser à un moment donné. Ainsi les femmes se sont-elles petit à petit coupées d’elles-mêmes et de leurs qualités intrinsèques, qui font leur force. Depuis l’ère du féminisme – qui a été absolument nécessaire –, elles se sont habituées à singer les hommes et à devenir leur égal. Si elles ont acquis des droits essentiels, elles ont aussi renié leur part spirituelle. Pour moi, la plus grande blessure de l’être est celle qui touche notre lien à ce qui est plus grand que nous, qui conditionne notre relation à nous-même et aux autres. La meilleure façon de nous réapproprier ce lien, c’est de le cultiver et de nourrir notre âme, comme de cheminer sur la voie qui nous touche le plus, le chamanisme ou autres. Cela peut aussi se faire à travers une démarche pour guérir une problématique personnelle ou la pratique de nos dons, qui nous relie à notre force intérieure. À chacune de voir ce qui lui procure le plus de joie et de courage, pour vivre. Pour accueillir et dire oui à ce qui est là, dans l’instant. C’est la clé de la vraie liberté !

« Non, toutes les femmes n’ont pas la mission d’éveiller les consciences des autres. »

EY : Quel est le rôle des femmes dans l’éveil des consciences? Est-ce que toutes les femmes ont cette « mission » ?

AF : Lorsque l’on cultive son féminin, on se transforme petit à petit et on s’épanouit personnellement. On peut commencer alors à rayonner sa « lumière » pour soi-même et les autres. À incarner des valeurs comme la bienveillance, la compassion, la paix, etc. À reprendre sa juste place et à faire entendre sa voix. De cette manière, on participe sans ego mal placé à l’éveil de notre conscience, puis à celle des autres. C’est comme une flamme, l’une peut en allumer une autre spontanément.

Non, toutes les femmes n’ont pas la mission d’éveiller les consciences des autres. Je n’aime pas trop le mot « mission », car j’y entends beaucoup de « volonté », alors que le féminin nous invite à lâcher prise et à se laisser agir par quelque chose de plus grand que soi. Certaines femmes sont nées pour s’éveiller plus tôt que d’autres et pour guider leurs « sœurs », leur montrer la voie. En revanche, si toutes n’ont pas ce rôle, elles ont toutes la responsabilité de grandir. Il est important que chacune fasse sa part. Car on ne changera pas le monde seule.

– Femmes chamanes: Rencontres initiatiques, Mama Editions, 2020.

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