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Témoignage : je suis professeure de yoga à Fleury-Mérogis

Le yoga n’est pas seulement une pratique de réalisation individuelle. Sa fonction sociale n’est plus à démontrer. Il faut saluer les personnes qui donnent leur temps à des publics en difficulté pour une meilleure vie, pour la réinsertion ou la santé: que ce soit à l’école, avec les personnes déficientes, en maison de retraite ou en prison.

Grille de protection de la prison

Geneviève Duverger a dispensé pendant cinq ans, y compris pendant les vacances d’été, des cours de yoga à la population masculine du complexe pénitentiaire le plus important d’Europe, la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. À chaque cours, elle était enfermée à clef avec eux, en face-à-face. Elle nous livre ici son témoignage d’enseignante.

Fleury-Mérogis enferme en moyenne 3 000 personnes. La maison d’arrêt pour les hommes est constituée de 5 bâtiments et les prisonniers sont groupés par type de condamnation pénale. Il y a également une zone pour les femmes et un centre pour les mineurs. Les populations incarcérées ne se rencontrent pas. J’ai pu observer les différences des profils psychologiques et j’ai donc modulé mes cours pour leur apporter les aspects du yoga qui les aideraient dans leurs difficultés personnelles.

La pratique du yoga apporte aux détenus la possibilité d’une transformation mentale, et la philosophie leur apporte la compréhension de cette transformation. Voici quatre types de personnalités pour lesquels j’ai développé différentes pratiques : le public des « isolés », les dangereux du grand banditisme, le quartier des mœurs et celui des mineurs.

Les isolées regroupés

Les isolés regroupés, dit aussi “le quartier des VIP”. Cette dernière catégorie regroupe les fonctionnaires de police, de la gendarmerie, les élus, les détenus des affaires politicofinancières médiatisées. Ce sont des personnalités qui ont perdu leur statut social, le prestige inhérent à leur fonction, le pouvoir, la représentativité. Ils compensent par une provocation quasi permanente. D’ailleurs, c’est un public si difficile que les tentatives d’activité linguistique et théâtrale ont été arrêté rapidement par les intervenants. Ils ne supportaient pas les détenus. Ils n’ont pas accès au sport et n’ont qu’une petite cour de promenade sous les toits avec une table de ping-pong : c’est la prison dans la prison. Je leur donnais deux cours de trois heures par semaine. En philosophie, je leur ai présenté le yoga à huit membres en leur proposant d’en choisir un parmi les huit. De façon unanime, ils ont ciblé les yama, les questions relatives à l’environnement extérieur, aux autres. Il est à noter que la philosophie les interpelle. Ils interviennent de façon désordonnée au regard de leur affaire, en me demandant mon avis. C’est ici que les précautions s’imposent fortement pour moi. En effet, ces affaires médiatisées traînent dans leur sillage des avocats ténors du barreau et ont des répercussions médiatiques.

J’ai ensuite présenté un autre aspect philosophique en lien avec la pratique : l’équilibre pour l’être humain. J’ai utilisé la métaphore de la table avec ses quatre pieds. Kama : le plaisir du corps qui, mis en dualité avec dharma, peut apporter la culpabilité. Artha : la satisfaction des biens matériels dont l’importance fluctue d’une personne à l’autre. Dharma : l’éthique, la morale intrinsèque, qui se met souvent en contradiction avec kama ou artha. Moksha : l’état de libération, le bien-être. La posture qui recèle tout ceci est dvipada pitham.

“Maintenant, je culpabilise, je ne suis plus un violeur”

Quelques semaines après, un détenu violeur discret, effacé, me demande si je peux lui accorder quelques instants. Il m’avoue qu’il suit une thérapie proposée par l’administration, ce dont il ne voyait pas l’intérêt. Mais il m’annonce aussi que la veille, il avait suivi une émission à la télévision sur le viol et qu’il avait pris conscience du traumatisme et des souffrances qu’il provoque. Puis il me rappelle une situation: « Un jour, vous nous aviez fait un dessin au tableau, c’était une table. Maintenant je culpabilise, je ne suis plus un violeur. » Depuis, en quittant chaque cours, il répétait à haute voix : « Je culpabilise, je ne suis plus un violeur » . Je leur proposais une pratique apaisante si je les sentais énervés ou s’ils s’étaient querellés ; dynamique, s’ils me semblaient léthargiques ou apathiques. Je faisais pratiquer régulièrement le yoga des yeux en raison de leur champ visuel limité par l’exiguïté de la cellule.

Les détenus particulièrement surveillés

Ils appartiennent à la catégorie du grand banditisme, la délinquance est leur métier. Leur dynamo, c’est de faire monter leur adrénaline. Ils sont très intelligents et donc susceptibles de me manipuler. Ce public n’avait droit à aucune activité en raison de sa dangerosité, mais, sur leur demande insistante, une autorisation spéciale a été avalisée par l’administration pénitentiaire pour les cours de yoga. Je leur donnais trois cours de trois heures par semaine dans plusieurs bâtiments. Ces personnes, placées sous main de justice étaient transférées irrégulièrement pour des raisons de sécurité. En philosophie, je me suis orientée vers santosa, l’acceptation. Ils sont, en effet, destinés à une détention longue, et peuvent ainsi essayer de mieux vivre leur temps d’incarcération. Ils m’interpellaient, régulièrement, sur le fait qu’eux n’avaient pas de liberté. Je leur répondais que ce n’était pas vrai. Qu’au lieu de geindre, ils feraient mieux d’utiliser leur liberté de penser : « Pensez autrement et le monde changera autour de vous ». J’ajoutais : « Quand vous serez familiarisés avec Dharana, la concentration, suite à nos pratiques, vous pourrez dans votre cellule fixer votre attention sur un objectif. Tout comme Monsieur Eiffel qui avait dessiné la tour mentalement, avant de la transcrire sur papier, afin qu’elle soit édifiée. »

Je leur affirmais qu’ils avaient la possibilité de prier, pas forcément, implorer mais de croire avec une force inébranlable afin de demander de l’aide à une entité supérieure à nous, les êtres humains. Il faut toujours positiver avec eux. Les pratiques du yoga sont de deux types, l’une conçue pour les apaiser, l’autre pour les tonifier mentalement par les postures debout et les pranayama. Les respirations sont avec antah kumbhaka, rétentions poumons pleins, toujours en rapport avec l’adrénaline. La difficulté avec eux, c’est le caïdat. Le caïdat judiciaire de celui qui a l’affaire la plus importante ; le caïdat intellectuel de celui qui est le plus diplômé ou le plus cultivé, le caïdat affectif de celui qui veut être le chouchou du cours… C’est une particularité que je devais avoir sans cesse en tête, car ils m’auraient vite dominée et contrôlée. Avec ce public, il n’y a que deux alternatives : je domine ou je suis dominée, avec le sourire évidemment.

Lors d’un stage d’été, je m’entretiens seule avec un détenu condamné deux fois à perpétuité. Il venait irrégulièrement au cours et intervenait intempestivement de surcroît. Je lui souligne gentiment que son attitude me pose problème quant à l’évolution des séances, il me répond qu’il comprend. Je me trouvais alors dans une salle éloignée de la sortie après avoir traversé un couloir interminable de vingt-quatre détenus. Juste après la fermeture à clef du surveillant qui s’éloigne, le détenu s’exclame : « Vous n’avez pas peur d’être prise en otage ? » Je rétorque : « Ne faites pas ça, je ne suis pas sûre que quelqu’un donnerait une rançon pour me récupérer ! » Les autres ont éclaté de rire. À la fin du cours, il est venu s’excuser. Parmi les bienfaits reçus, j’ai pu noter qu’ils s’entendaient mieux avec les surveillants et qu’ils attendaient leur parloir avec plus de sérénité. Pour venir au yoga, ils avaient adopté un style vestimentaire : le tee-shirt blanc. Ils voulaient se démarquer pour montrer aux autres détenus que pratiquer le yoga était une référence.

Le quartier des autres moeurs

Ce sont les travestis et les transsexuels. Ils ont une hygiène douteuse et sont excités en raison, notamment, de manque de drogue et d’alcool. Je ne dispensais que des cours de pratiques physiques de deux heures par semaine. Un jour, ils finissent par s’exclamer : « Alors, nous, on est trop c… Pour avoir des cours de philosophie comme les flics. » J’ai formulé une demande à l’administration pour un cours de philosophie, qui a accepté. Je leur ai placé un bureau pour chacun, un stylo et du papier. Ils se sont sentis valorisés et écoutaient avec attention : c’était émouvant. Je les sollicitais pour obtenir des exemples en lien avec mes explications théoriques, ce qui les responsabilisait, même si leurs exemples se situaient toujours au bois de Boulogne … Pour la pratique, c’était hasardeux, car, en raison de l’absorption régulière de drogue, ils s’essoufflaient rapidement. Ici, le vinyasa, la progression, prenait tout son sens les postures étaient souvent assises pour les maintenir face à moi afin qu’ils se fixent sur mes explications. En raison de leur féminisation avérée, je les ai initiés au Bharata Natyam, danse classique du sud de l’Inde pour les fêtes de Noël.
jeunes détenus engagés dans une séance de yoga

Le centre de jeunes détenus

C’est le quartier des mineurs. J’utilisais yukti, l’astuce subtile, et sauça, la propreté, le respect de soi, pour leur apprendre à aimer leur corps afin d’éviter de le détruire par le fléau toxicomaniaque. Pour la pratique, le plus souvent, je faisais des séances de yoga de l’énergie afin de canaliser leur agressivité. Ils disaient qu’ils se sentaient bien et que « ce yoga, c’est cool parce qu’ils allaient courir plus vite que les keufs. » Ils me confiaient ne plus vouloir décevoir leur mère. Ils m’appelaient parfois maman lorsqu’ils n’avaient plus leur mère ou qu’ils ne l’avaient Jamais connue. Lorsque je dispensais les cours de philosophie, je me remémorais la citation de Victor Hugo qui, au XIXe siècle, écrivait dans Les Misérables : « Ouvrez une école et vous fermerez une prison ». Je reconnais que mes sept ans de psychanalyse, assortis de la connaissance du milieu carcéral, m’ont permis d’être habitée par ce travail tout en me préservant.

Par Geneviève Duverger

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